vendredi 17 juillet 2009

Premiers signes - Les lieux incertains

Paris_200811_014
Nos bureaux se situent dans l’entassement de cubes et de cylindres qui bordent l’esplanade de la Défense. Vue de Paris, il ne s’agit que d’une skyline urbaine grise et bleue plutôt réduite qui n’a rien à voir avec les centres d’affaires américains ou asiatiques, ou les interminables forêts de gratte-ciels d’habitation hongkongais. Rien d’impressionnant à son approche, bien que les trains provenant de Saint Lazare, comme des serpents glissant vers un monstre endormi, offrent une vue singulière sur les sommets de béton. Mais de l’intérieur, la multitude de no man’s land géométriques dans la succession de terrasses en niveaux décalés est troublante. La combinaison des zones de passage de la foule avec les entrées officielles des tours laisse des espaces béants et labyrinthiques entre dalles, bacs à fleurs, mini-squares, entresols, escaliers et arcades. Certains lieux ne sont là que parce qu’il n’était pas possible d’y mettre du néant, du vide, parce qu’il fallait bien les remplir, d’abord sur la maquette avec des petits éléments urbains en plastiques et des figurines figées dans une attitude affairée, ensuite avec le béton du réel et les incontournables courants d’air… mais de ces lieux étranges, le néant a pris possession, chassant le jeune cadre dynamique perdu, déroutant le touriste téméraire. N’y restent que des traces de passage d’un ivrogne, un peu de vomi, des cannettes, quelques cigarettes éventrées par de discrets fumeurs de joints, une odeur de pisse et le bruit, parfois, d’un pas égaré sur une dalle instable.
Avant le changement, j’allais de temps en temps y traîner mon vieux Rolleiflex à la pause déjeuner, tentant de capter les lignes et les courbes vierges de ces espaces déserts, pour les incruster dans le format carré qui me sert d’encyclopédie visuelle. J’envisageais le déséquilibre d’un reflet dans le verre fumé d’une façade, je repérais les alignements de murets qui guideraient l’œil pour l’attirer dans la profondeur d’un puits vers les niveaux inférieurs, j’ajustais dans le large viseur la position d’une aération qui brisait les lignes des dalles, sans jamais saisir autre chose que du minéral, du végétal et de l’air, sifflant et tourbillonnant dans les odeurs de parking et de restaurants d’entreprise. Aucun être humain ne se trouvait sur mes images, ou alors perdu, furtif, une ombre momentanée, reflet indéterminé, silhouette énigmatique. Je cherchais à éviter la foule bruyante de l’esplanade, curieux de ces endroits inutiles et parcourus par le vide.
Aujourd’hui que les ombres se répandent, je m’enfuis parfois des bureaux que nous occupons pour retrouver un peu d’humanité dans les allées et venues des fourmis costumées sur le parvis, qui autrefois me semblaient mécaniques, vaines et risibles. Mais je ne peux que constater l’ampleur du désastre qui nous gagne : les lieux de désert urbain occupent un espace grandissant, les ombres se multiplient là où autrefois s’affairaient d’arrogants porteurs de mallette. Sur mes images, désormais, je cherche à capter les ultimes formes familières que j’évitais jadis, mais plus le temps passe, plus les lignes dures des immeubles s’affirment seules, parfois courbes ou brisées. Elles guident toujours le regard dans la géométrie des lieux, mais du reste, des hommes, je ne saisis plus que des traces, des reflets ou des ombres.

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1 commentaire:

  1. Salut !
    Je viens de lire ton blog. J'aime bien la structure feuilletonnesque. Avec ce système on se retrouve un jour avec un roman entre les mains, sans avoir forcé...

    Pour l'histoire, difficile de dire quoi que ce soit à ce point du scénario. Quelques passages gagneraient peut-être à être plus concis, mais dans l'ensemble c'est intriguant et accrocheur. Tiens, je vais diminuer ma consommation de café moi...

    A+

    Phil

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