jeudi 3 septembre 2009

Les photographies

J'avais beau retourner le problème dans tous les sens, je ne parvenais pas à en saisir les contours. Je quittai le bistrot, longtemps après le départ de Lucie et de notre fille, achetai des cigarettes pour la première fois depuis quelques années et passai le restant de ma soirée à chercher dans la fumée grise une prise sur le dérèglement général dont j'étais le témoin. Je fis tout pour retarder le moment où il me faudrait rentrer chez moi, pris quelques verres et finis par acquérir une certaine imprécision dans mes gestes en même temps qu'une forme de distance vis à vis des choses. L'ennui avec l'alcool, c'est que l'on ne peut jamais compter sur sa capacité à vous faire oublier les choses, il ne fait jamais vraiment ce qu'on lui demande. J'avais souhaité me réfugier dans les approximations de ses vapeurs et je ne me trouvais que plus focalisé encore sur l'objet de mon angoisse : je ne comprenais rien à ce qu'il se passait. En l'occurrence, on venait de me retirer le sol sur lequel je marchais depuis toujours et je ne trouvais rien d'autre à faire que regarder le vide sous mes pieds. A 2h du matin mon téléphone vibra dans la poche de ma veste. Léo ne parvenait pas non plus à dormir. Bien que ma bouche pâteuse eut pu simuler un réveil en pleine nuit, il dut percevoir que j'étais à l'extérieur. « Tu ne dors pas non plus. Viens chez moi s'il te plait. » Quand je voulu en connaître la raison, il se tut un moment puis ajouta « J'ai peur. Viens voir. ».
Sa voix était tremblante et sa mine creusée lorsqu'il m'ouvrit la porte une vingtaine de minute plus tard dans l'escalier jaunit d'un vieil immeuble parisien. Il ne dit presque rien mais m'invita à rentrer rapidement dans le salon. Léo habitait un deux pièces où j'avais eu l'occasion de venir avant l'épidémie, un appartement décoré sans grande fantaisie, avec peu de meubles mais plutôt agréable bien que trop rangé. « Regarde » me dit-il, et je vis immédiatement répandu sur la table basse, le canapé et le tapis qui recouvrait le plancher à cet endroit ce qui semblait être le contenu d'une boîte de photos souvenirs. « Regarde ça » répéta-t-il nerveusement. Des papiers, mais surtout des photos de famille, des photos de classe, de vacances. Toutes ou presque, je le vis rapidement, concernaient Léo, sa famille, ses amis... Mais quelque chose d'étrange émanait de ces images. J'en saisis une et la regardait de plus près : elle représentait Léo environ dix ans plus tôt, dans les bras d'une femme d'une soixantaine d'années « Ma mère » dit-il en se rapprochant. Je regardai à nouveau le cliché et compris la cause de mon malaise : sa mère avait cette teinte particulière de la peau, cette expression de défaite, ce regard si caractéristique des contaminés. Les unes après les autres je pu voir les images qui révélaient cette incompréhensible vérité : nous n'avions pas assisté au début de l'épidémie et Léo, ces photographies en étaient la preuve, avait grandi parmi eux.
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4 commentaires:

  1. De mieux en mieux ! Ton style est plus net, plus vif. Ton ambiance sombre me fait penser au film Dark City avec ce mélange d'êtres éveillés et de personnes en "routine".
    Seul détail: tu sautes la fin de la scène du bistrot sans que le narrateur demande plus de détails à son épouse, qui visiblement en sait davantage. C'est un peu déroutant.
    J'attends la suite avec impatience !

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  2. c'est vrai que c'est plus clair. on sort des phases un peu trop plates. on commence a voir des arètes et on se fait un peu plus accrocher. On sort de la description pour rentrer dans l'histoire et je trouve que ça accroche bien.
    C'est vrai que l'on s'attends a des explication de la part de la femmes du narateurs,mais comme on est habitué a ne pas avoir lees réponse je trouve que ça passe.

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  3. à ce qui se passait..
    que de regarder..
    je voulus en connaître..
    vingtaine de minutes..
    l'escalier jauni..

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  4. tiens... il y a un programme de correction qui s'appelle jhe maintenant?

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