jeudi 12 novembre 2009

Sixième étage

J'avais laissé mon petit veilleur de voisin après une incroyable séance de prise de vue qui remettait en question tout mon jugement sur les contaminés. En pénétrant dans son intimité j'avais entrevu de manière certaine que tout n'était pas éteint dans son cerveau. Il y subsistait à tout le moins une capacité à se mettre en scène, c'est à dire une conscience de sa place dans l'espace et d'une certaine façon dans le monde, un monde qui n'était pas le mien, ou pas encore le mien, bien que la pellicule 120 qui courait dans le dos de mon rolleiflex semblât comme un point de passage entre les deux. Je quittai donc le petit deux pièces du cinquième avec quelques pellicules dans ma besace, comme autant de signes à décrypter.
La porte en face sonna sur un appartement vide. Je montai alors au sixième, transportant mon petit matériel sur un étage de plus, pris une profonde inspiration et appuyai mon index sur le bouton gris à coté duquel étaient imprimées sur bande plastique les lettres "Druzbacky".
Depuis le palier, j'entendais les bruits des enfants qui jouaient quelque part derrière la porte, et, quand celle-ci s'ouvrit se fut sur un nouveau visage hirsute et fatigué : celui de Jiri Druzbacky.
"Bonjour." commençai-je, mais je ne pus continuer, car le regard de M. Druzbacky était braqué sur moi et semblait me dire tant de choses que j'en restai coi.
Pour moi les "zombies" n'avaient qu'un regard vide et morne, et cet homme semblait me faire un discours avec ses yeux, tandis que derrière lui passait en cahotant le petit dernier, dans la démarche de petit bouddha des petits costauds de 2 ans. J'eus la sensation d'assister à quelque mise en scène absurde. D'un recoin nous parvenaient les voix des deux grands qui se chamaillaient. La perspective de l'entrée s'arrêtait sur Mme Druzbacky, dont le corps semblait suspendu dans l'encadrement de la porte du salon, comme une méduse, figée, les bras pendant comme des filaments, d'où elle fixait sur moi son regard mort. Il y avait dans la vision de cet appartement et de la famille qui l'habitait une telle accumulation de données contradictoires que je ne pouvais en percevoir que l'immense absurdité. De l'inimitable cahin-caha d'un gros poupon, à la vision fantomatique de sa mère-zombie, coincée dans une posture mi-inconsciente, mi-observatrice, le tout baigné de quelques cris de gosses, il y avait de quoi perturber les facultés d'intégration de mon cerveau fatigué. Et je ne comptais pas le regard incroyablement bavard du père, tel cerbère gardant la porte de son propre enfer familial.

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2 commentaires:

  1. Ahah... Ici le lecteur commence à bâtir des hypothèses... en vain. Tu nous tiens en haleine.
    Par contre des descriptions un peu répétées à propos du regard bavard du père etc...
    Et le mot "petit" deux fois dans la même phrase.

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  2. Merci pour tes commentaires précieux Phil! tu es mon "lecteur test"... J'en tiens compte, je vois bien qu'il faut que je commence à dénouer certains fils...C'est le challenge des posts à venir

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