lundi 21 décembre 2009

Druzbacky

- Monsieur Druzbacky? dis-je bêtement, puis, comme ses yeux restaient plantés dans les miens : - Je suis votre voisin du 4eme...
Un vague hochement de tête, me convainquit qu'il ne s'était pas soudain transformé en statue de cire.
- Je fais un reportage photo sur les habitants de l'immeuble, pourrai-je ajouter votre famille à ma galerie de portraits?
Druzbacky sembla machouiller quelque chose puis s'écarta légèrement, passa sa main sur son visage mal rasé et lâcha un "Je vous en prie" des plus naturels, tandis que madame était toujours en lévitation dans l'encadrement de la porte du salon, balançant légèrement de droite à gauche.
Un sourire ironique surmonté de deux yeux tristes et fatigués me conduisit dans la cuisine, m'offrit une chaise, passa un coup d'éponge sur les miettes de pains et me proposa un café. Ce n'était pas vraiment ce dont j'avais besoin pour maitriser ma fébrilité, mais j'acceptai de bon cœur tant les signes d'humanité ordinaire me semblaient précieux.
Tandis que la machine chauffait, il me regarda à nouveau de ce regard curieux.
- Et dans quel but ce reportage?
Ne me laissant pas le temps de répondre, il ajouta "J'ai toujours pensé que la photographie était une sorte de cartographie du monde visuel. Est-ce le cas? Vous cartographiez la population de cet immeuble?"
Je regardai brièvement la machine à café comme pour y trouver une aide, tant sa question était juste et directe. "On peut le voir comme ça." répondis-je en tentant d'apparaître plus finaud que je ne l'étais. "La photographie peut être une sorte de mémoire du paysage à un instant donné, comme une carte, mais c'est très réducteur."
"C'est aussi réducteur de penser une carte comme cela." ajouta-t-il, pour me remettre à ma place. La machine avait fini de chauffer, il se servit également une tasse, ce qui, pour d'obscures raisons, me rassura sur ses intentions.
Dans le couloir, le bouddha ne cessait de passer et repasser devant la porte avec un air concentré, tandis qu'aucun signe particulier ne venait du salon, où j'imaginais madame Druzbacky toujours suspendue dans le néant cérébral, oscillant dans les ondes telluriques. Les deux plus grands avaient dû se calmer, ne faisant parvenir jusqu'à nous que quelques bruits légers. L'interrogatoire reprit.
"Quel genre d'informations pensez vous donc obtenir en faisant une galerie de portraits du voisinage? Vous allez en tirer une classification?" Il souriait sans être franchement amical."Vous allez identifier qui est blond, qui est brun? Grand ou petit?". Je tripotais l'anse de ma petite tasse en porcelaine, n'osant tremper mes lèvre dans le café. Il se pencha un peu plus vers moi et avec un large sourire, souffla au dessus de la table : "Qui est sain, qui est contaminé?"
Feignant de prendre ses taquineries pour un jeu, je m'imposai un sourire forcé et lui demandai ce qu'il entendait par là.
Il colla son dos au dossier de sa chaise, pris la tasse dans sa main et rentrant le menton continua.
- Ma femme... Vous avez vu le spectre qu'elle est devenue?
Il avala une gorgée et maintint quelques instants la tasse à mi-hauteur.
- Dehors, c'est pareil. Des légumes, des coquilles vides. Pourquoi croyez vous que je vous ai laissé entrer comme ça? J'en ai ras le bol de ce bordel, moi.
- Alors, vos photos, c'est pour se souvenir d'une époque où tout le monde n'est pas encore contaminé, hein, c'est ça?
- Oui, fis-je.
Le café était infecte, je fis une petite grimace.
- Je sais dit-il, j'en ai tout un stock à écouler et je n'en bois pas souvent.

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1 commentaire:

  1. J'aime bien ce personnage. Je lui vois bien jouer un rôle récurrent dans le récit, apporter de petites notes cyniques et désabusées. Il y a juste le "ras le bol de tout ce bordel" qui sonne curieusement dans sa bouche, alors qu'avec son précédent vocabulaire on le voyait plus précieux.

    (PS: petite faute: laissé entré)

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