mercredi 6 janvier 2010

Cantatrice

- Cela fait combien de temps selon vous? Combien de temps que tout cela a commencé?
La question me prit de court. D'autant que cette fois, il ne semblait pas décidé à en donner lui même la réponse.
- Je ne sais pas.
Je pensais aux machines à café de la défense, ce qui me ramenait quelques semaines en arrière, mais les photos de Léo étaient bien plus anciennes, plusieurs années. Quant à ce que Lucie m'avait dit... Tout était brouillé, sans plus d'argument pour une illusion ou une réalité qu'une autre.
- Peut-être quelques semaines, peut-être quelques années, dis-je. Je ne parviens pas à savoir si cela a commencé quand je l'ai vu, ou bien si je n'ai ouvert les yeux que tardivement.
- AAh! fit-il sur un ton guttural presque enjoué. Eh bien figurez vous que ma femme est un spectre très ancien!
Devant ma mine incrédule, le bonhomme continua.
- Cela fait quinze ans que je la connais! Quinze ans que j'ai découvert sa voix, ses gestes, ses coups de gueule. Une voix incroyable, ça oui. Telle que vous la voyez là elle ne parle même pas, mais autrefois, elle chantait! Une vrai belle voix de femme, un peu grave, toute en velours... Je l'aimais pour ça, entre autres.
Il marqua une pause, machouilla des choses entre ses dents et repris.
- Elle était belle aussi. Et furieuse! furieuse!
Il criait en levant les bras comme pour mimer un animal mythologique. Et bien continua-t-il, tel que vous me voyez aujourd'hui, je suis incapable de vous dire depuis combien de temps elle est passé du côté des légumes. Incapable!
- C'est absurde! lui dis-je. Vous ne pouvez pas avoir oublié!
Je soupçonnais mon interlocuteur d'être soit fou, soit menteur.
- Si! hurla-t-il. Absolument tout!
Puis revenant à un niveau sonore plus décent :
- Ma femme elle-même...
- Vous en parlez avec elle? Enfin... je veux dire son état actuel vous permet des échanges réels?
Je n'eus pas le temps d'observer sa réaction, nous découvrîmes en même temps les visages des deux grands qui semblaient nous observer depuis quelques instants déjà, bouches bées, yeux vaguement perdus, tandis que le petit bouddha poursuivait ses longueurs avec la régularité d'un pianiste travaillant ses gammes.
Après quelques secondes de silence où les regards se renvoyaient des longues questions, Druzbacky se leva et lança sur un ton jovial :
- Allez les monstres, monsieur va nous tirer le portrait!
il y eu des petits cris, un peu d'agitation et je sortis de la cuisine avec eux, curieux de voir quelle place prendrait le spectre de la cantatrice dans les photos de famille.


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