mardi 18 août 2009

au bistrot

Paris, faubourg Saint Martin
J’avais donc retrouvé mon ex compagne et ma fille après des mois d’une séparation née d’un peu de lâcheté quotidienne, de peurs et d’aléas de la vie, bien que les mots ne soient jamais suffisamment forts pour rendre la complexité de cette trame qui nous fait. Aux débuts de l’épidémie, j’avais régulièrement pensé à elles sans oser le reconnaître. Je fabriquais une angoisse mêlée d’orgueil qui aboutissait à l’inaction, à l’attente, au lieu de courir vers elles, prendre des nouvelles, savoir si elles étaient toujours là, si elles survivaient aux ombres. Il m’avait donc fallu cette errance semi consciente vers l’école pour qu’enfin je les voie à nouveau.
Lucie accepta d’aller prendre un verre ce soir-là, et nous fîmes quelques pas ensemble dans les rues où je ne pus m’empêcher de croire à un nouvel avenir, où je me laissais porter par un enthousiasme si ridicule et inadéquat, qu’heureusement il ne dura pas. Lorsque nous fûmes tous les trois autour d’une table de formica et qu’un garçon de café à la mine grise, au regard si inexpressif qu’il semblait gris également nous eut apporté nos verres, j’osai enfin lui parler de l’épidémie. La petite se promenait entre les tables en allant d’un client à l’autre, posant des questions aussi indiscrètes qu’innocentes comme seuls les enfants savent le faire, et je ne pouvais réprimer un frisson, quand le regard mort de l’un ou l’autre des zombies de bistrot se posait sur elle, sur sa fraîcheur, sur sa mine pétillante. Sa mère elle ne semblait pas s’en soucier, je cherchai la même inquiétude dans son regard, mais elle était si forte - ou inconsciente, commençai-je à me dire – que rien ne transparaissait dans ses yeux ou dans ses gestes.
Je lui fis donc le récit des machines, des collègues de bureau qui semblaient un à un perdre leurs neurones, je lui exposai les déductions auxquelles Léo et moi étions parvenus quant au café, et la perplexité qui nous gagnait comme l’épidémie s’étendait et que notre apparente immunité se maintenait… Lucie me regardait attentivement sans toutefois intervenir ou marquer sa surprise. Je fis plusieurs pauses dans mon récit pour lui laisser l’occasion d’acquiescer ou de me faire part de ses observations, mais elle n’en fit rien. Lorsque j’eus terminé, je levai les yeux vers elle. Elle remuait son café en croquant le morceau de chocolat qui allait avec, la petite revint vers elle et vint s’assoir sur ses genoux. Il me sembla un instant qu’elles me prenaient pour un fou et, dans le silence de la salle du bar pourtant pleine, je le crus moi aussi. Mais Lucie s’appuya sur le dos de sa chaise sans me lâcher du regard et dit d’une voix indéfinissable : « Je suppose que je dois te souhaiter la bienvenue. »
Comme je restais muet elle ajouta : « Tu as mis le temps, mais tu as fini par voir les choses. » Elle marqua une nouvelle pause et prit un air presque dépité : « Dis-toi bien que c’est maintenant que tout commence pour toi. Je me demande même si je ne t’envie pas un peu. »
Dehors, il commençait à pleuvoir et le clapotement métallique accompagnait probablement à merveille l’expression de mes yeux ronds, dans la semi pénombre. Je restai longtemps assis là, à essayer de comprendre ce qui venait de me tomber dessus.

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2 commentaires:

  1. Ah, là, tu as su me mettre l'eau à la bouche. Je craignais que ça ne traîne dans des introspections sur l'apathie du monde, mais on sent une véritable intrigue se mettre en place. Vivement la suite ! Maintenant il faut tenir les promesses ;)

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  2. La suite !!!!!!!!!!!!
    Ca donne bien envie de lire la suite, vivement que ça arrive.

    Le début me semble un peu long mais il pose bien l'intrigue. Maintenant on a envi de savoir; ce qui ce passe ? pourquoi ? comment ? et pourquoi certains personnages de l'histoire semblent immunisés ?
    Je me demande aussi pourquoi il ne tente rien pour empécher que cela se propage ?

    Le style des "chapitres" 3,4 et 5 est légèrement ampoulé, non ?

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