dimanche 1 novembre 2009

Le Veilleur

Les jours qui suivirent furent pour moi les premiers jours réellement enthousiastes depuis le début de l'épidémie, signe indiscutable de la pertinence de mon petit reportage, au moins pour ma santé mentale. Je passais de temps en temps voir Mme Bellemont, elle me faisait un compte rendu de ce qu'elle avait vu de particulier sur le palier. C'est à dire peu de choses, en dehors du pas lent des voisins. Elle m'apprit qu'elle avait une petite fille dans le sud ouest qui lui passait quelques coups de fil et lui envoyait régulièrement des lettres. J'avais trouvé cela amusant, n'ayant jamais rencontré que des parisiens dont les grands parents habitaient le sud ouest et non l'inverse. « Non, je n’ai jamais été une mamie foie gras ! » m’avait-elle dit mi-mélancolique mi-revendicative. Je découvris progressivement chez elle un esprit de jeune femme retors et un rien rebelle, qui lui donnait beaucoup de charme. C’était un genre de mamie urbaine auquel je n’avais jamais été confronté qui, malgré sa phobie de l’intrusion et son équipement hi-tech d’observation du voisinage, se révélait éminemment sympathique.
Le dimanche, lendemain de notre première rencontre, j’entrepris de poursuivre mon porte à porte photographique, espérant débusquer ici ou là quelques voisins encore sains, voire lâcher la bride à mon voyeurisme latent et entrer dans l'intimité d'un malade et peut-être, qui sait, comprendre quelque chose à cet amoncellement d'absurdités.
Le voisin du dessus était veilleur de nuit ou quelque chose dans ce genre, car il rentrait tous les matins en costume à l'heure où je partais au travail. Je frappai discrètement à sa porte en début d'après midi, espérant qu'il ne consacrait pas le jour du seigneur à une longue sieste tel un vampire urbain. Il apparut dans l'entrebâillement, ébouriffé et pâle, sans que je sache si c'était là le fruit du sommeil ou son état normal. Son regard vide fut accompagné d'un vague grognement auquel je répondis par une petite explication sur la raison de ma visite. Après un moment de silence où il me sembla entendre les rouages de son cerveau se mettre en branle, il me fit signe d'entrer. En passant devant lui j'admirai les magnifiques pantoufles à tête de lapin qui enveloppaient ses pieds malgré l’arrivée de la belle saison. Il flottait dans l’air une odeur que j’associai rapidement à ce zèle hivernal.
Je tentai par quelque mots de le mettre à l’aise, d’échanger –autant que cela était possible- sur le thème de la photographie, mais je me heurtais au même problème qu’avec mes collègues de la défense : notre échange se limitait au strict minimum et le malheureux veilleur ne semblait pas plus capable ni désireux de suivre une conversation qu’un distributeur de boisson. Rien ne me préparait à l’étrange manège que j’allais observer par la suite.


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