jeudi 5 novembre 2009

Frénésie

Le nid diurne de mon voisin était un capharnaüm organisé. Non pas que l’on distinguât clairement de l’ordre dans son désordre, mais plutôt un sentiment d’organisation. Il semblait que l’agencement des paniers de linges, cartons remplis d’objets indéterminés, livres, papiers divers, étagères et ustensiles de cuisine obéissaient à une logique inaccessible et que leur présence à tel ou tel endroit revêtait un sens particulier, dont l’ensemble formait un dessein perceptible. C’est toutefois ainsi que je le ressentais. A investir l’espace encore libre dans ce labyrinthe, j’avais le sentiment d’une construction intelligente, d’un dédale réfléchis dont le parcours répété conduirait à une forme de connaissance. Mais je fus tiré de mes pensées par l’agitation dont faisait maintenant preuve mon voisin. Il n’était pas resté prostré comme j’aurai pu m’y attendre, ou bien occupé à quelque tâche répétitive, non, toute proportion gardée il était totalement hyperactif. Les sourcils légèrement froncés comme seule expression de concentration au dessus du classique visage de ciment mou, il allait d’un bout à l’autre de son deux pièces cuisine, transportant des objets, déplaçant, retournant, zigzagant dans son dédale miniature comme un Minotaure ridicule et dépressif au bord de la crise de nerf. J’étais assis sur une chaise pliante que d’un geste bougon il avait désigné à mon arrivée et fus quelques instants absorbé dans la contemplation des deux petits lapins qui sautillaient frénétiquement d’un endroit à l’autre, oubliant même l’incommodant parfum qui semblait s’en dégager. Pour la première fois depuis le début de l’épidémie, je me trouvais en présence d’un contaminé qui n’avait pas cette attitude prostrée, ne restait pas suspendu dans l’espace comme tenu par un cintre à une invisibles tringle de penderie. Incontestablement, j’assistais à quelque chose d’unique, un de ces moments privilégiés dont parlent les documentaristes animaliers lorsqu’ils observent la reproduction des baleines où les parades nuptiales de quelque espèce farouche, toute proportion gardée bien évidemment.
Mais le plus étonnant vint quand je pu décrocher mon regard et prendre un peu de recul sur la pièce : il avait ni plus ni moins organisé tout un coin de son salon en studio et s’était ménagé un emplacement libre dans lequel il déposa une sorte de pouf oriental, un coussin de cuir aux motifs entrelacés, qu’il orna finalement de sa propre personne, dans une posture qui, si elle ne m’avait sur le coup tant surpris et émerveillé, m’aurait certainement fait hurler de rire.


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